Vieillir, et alors ? Comprendre l’âgisme pour en déconstruire les clichés
Article co-rédigé par Valentine Charlot et Floriane Léonard
Vieillir réveille bien souvent des idées toutes faites, généralisées et surtout négatives : dépendance, fragilité, perte de désir, incapacité à évoluer, charge sociétale … Et bien que certains de ces éléments soient présents à des degrés divers chez les personnes âgées, ils ne les résument pas à un tout identique et sans nuances : les vieux.
Largement véhiculés par les médias, dans les publicités, dans les discours politiques ou les conversations quotidiennes, ces clichés sont la base de l’âgisme, forme de racisme anti-vieux, qui déclenche en cascade des attitudes de discrimination basées sur le critère de l’âge. Ancré dans notre peur de devenir vieux, malades et dépendants, l’âgisme nous permet d’éloigner celles et ceux qui pourraient être concernés, de les ignorer. S’ils sont essentiellement dépendants, alors ils doivent tous vivre en maison de repos … s’ils sont incapables de décider, alors il est inutile de leur demander leur avis.
Les images polarisées – seniors soit dépendants, malades, tristes et dépassés (âgisme), soit éternellement jeunes, beaux, lisses et performants (jeunisme) – laissent peu de place à la diversité des parcours.
Déconstruire ces stéréotypes pour contrer les attitudes de discrimination qui en découlent est essentiel pour que les personnes âgées puissent prendre et garder leur juste place dans la société.
Pour aborder ce sujet, nous avons interviewé Valentine Charlot, neuropsychologue spécialisée dans le vieillissement et cofondatrice de l’asbl Le Bien Vieillir.
Voici quelques exemples de clichés particulièrement tenaces et leurs conséquences sur les personnes elles-mêmes mais aussi sur les personnes qui les entourent.
Vieillir, c’est devenir de plus en plus rigide, incapable de s’adapter
Combien de fois entend-on que les années rendent plus rigide, enfermé dans ses idées et dans la nostalgie du passé ? Ce cliché a la peau dure ! Les personnes âgées évoluent dans un monde qui a beaucoup changé, qui peut paraître étrange à certains. Persuadés que c’est nécessaire, on évite de proposer de nouvelles idées, de nouvelles technologies … on évite de discuter de sujets d’actualité … persuadés que l’interlocuteur plus âgé est dans l’incapacité de partager des avis différents, de changer d’idée … Refuser des nouveautés, rester carré sur des décisions ou opinions … n’est pas strictement réservé aux plus âgés ! Pour nuancer, il faut quand même noter que le vieillissement cérébral amène notamment et progressivement un moins bon fonctionnement du lobe frontal, siège de l’adaptation et de la flexibilité. Pas chez tout le monde, pas au même moment et pas de la même manière. En laissant, si nécessaire, plus de temps pour réfléchir, en favorisant l’authenticité des échanges, on peut alors découvrir chez l’autre à la fois une forme de nostalgie agréable à partager et des opinions sur l’actualité intéressantes à discuter !
Les personnes âgées évoluent dans un monde qui a beaucoup changé et qui peut parfois sembler étrange, au point de donner envie de rester sur ses acquis.
Vieillir rend incapable de décider
Autre cliché … celui qui nous fait dire que vieillir ne permet plus de décider de ce qui concerne soi-même. Faire des choix risqués, prendre des décisions qui pourraient sembler déraisonnables, distribuer ses biens, partir en voyage, se faire plaisir … sont vite regardés sous l’angle de la méfiance « est-il encore au clair avec ses choix ? dispose-t-il vraiment de toutes ses capacités ? il change d’avis comme de chemise ? il faut le protéger et décider pour lui »
Si les capacités cognitives peuvent s’altérer avec le temps dans le cadre de lésions cérébrales, les capacités décisionnelles en sont bien distinctes ! Fumer comme une cheminée, se faire plaisir avec un verre de vin ou de whisky et même plusieurs, choisir de léguer ses biens à une association … ne sont pas nécessairement signe de pertes ou d’incapacités ! Peut-être plutôt une envie de profiter du temps restant pour profiter de la vie et savourer des choix moins raisonnés !
Vieillir … synonyme d’aigreur et de rouspétances
Ce cliché nous pousse à penser que les vieux sont nécessairement plus rageux. Ils rouspètent sur tout et tout le temps, expriment des reproches aux autres générations, critiquent les initiatives et les projets de leurs voisins, proches ou amis et ne se satisfont de rien … en lisant ces quelques lignes, on pourrait penser que ce sont les adolescents qui sont pointés 😉
Aucune caractéristique de personnalité ne devient systématique avec l’âge. Les râleurs le restent au fil du temps et s’en donnent peut-être encore plus à cœur joie … les philosophes ou positifs le restent bien souvent sauf quand les événements de la vie épuisent leurs ressources. Solitude, maladie, dépendance peuvent éprouver les plus optimistes ! Et ce, quel que soit l’âge.
Vieillir et redevenir un bébé
« Ils retombent en enfance, ils ne sont plus capables, sourds, confus et tellement fragiles qu’il faut s’adapter et communiquer de la bonne façon ». Bien souvent empreinte de bienveillance et de souci de se faire confiance, notre communication peut complètement se transformer quand on s’adresse aux plus âgés. L’Elderspeak, forme subtile d’âgisme, se concrétise dans notre manière de parler : vocabulaire simplifié, lexique emprunté à l’enfance, répétition, hausse du ton, voix aigüe, tête penchée, usage de diminutifs (« le petit vieux », « mon chou », « ma chérie » ..), ralentissement du débit et transformation du contenu … sans que l’interlocuteur n’ait aucunement manifesté le besoin de ces adaptations. Les personnes âgées elles-mêmes expriment ne pas apprécier cette forme de langage et s’en ressentir minimisées voire ridiculisées.
Vieillir et aimer, désirer ? Une hérésie !
L’idée selon laquelle la sexualité, le désir voire même l’amour s’éteignent inexorablement avec l’âge persiste encore. Qui voudrait aimer, caresser, désirer un corps usé et fripé, des seins qui tombent, des rides et des cheveux gris ? Imaginer l’inverse nous choque, nous met mal à l’aise et nous préférons penser que cela n’existe plus. Les relations affectives et sexuelles peuvent effectivement se transformer pour certains, changer de forme, s’éteindre ou s’enflammer ! Oser exprimer ses sentiments à un homme ou une femme qu’on a secrètement désiré, tenter l’expérience sexuelle en solitaire, soutenir sa voisine de couloir et se donner rendez-vous pour l’apéro … pourquoi cela serait réservé aux plus jeunes ? Jongler entre des enfants, un travail, une maison et un ou une conjoint.e … en voilà des raisons fatales qui peuvent clairement mettre le désir et sa concrétisation au rang des abonnés absents.
En quelques mots …
Nous sommes toutes et tous d’une manière ou d’une autre, impacté.e.s par l’âgisme. Personne n’y échappe ! Il s’immisce dans nos croyances, dans nos actes, notre manière d’accompagner ou de communiquer. Il nous pousse à croire que l’âge ne se caractérise que par des fragilités ou des pertes et nous agissons alors sans tenir compte des ressources, capacités et expertises. Nous oublions les envies, désirs et projets toujours présents quel que soit l’âge, à des degrés divers. Nous réduisons la personne à quelques facettes d’elle-même en niant les autres.
Et pourtant, au fil des ans, nous devenons de plus en plus différents les uns des autres. Nos expériences de vie, nos interactions sociales, nos domaines de prédilection façonnent notre personnalité. Nous pouvons encore ressentir, débattre, aimer, rouspéter, rêver ou désespérer. Il n’est nulle question d’idéaliser l’avancée en âge comme si les pertes ou maladies n’existaient pas, mais bien de ne pas y résumer le vieux ou la vieille concerné.e.
Alors, osons le pari des vieillesses et ouvrons nos pensées, nos intentions et nos attitudes à cette mosaïque de personnalités … nous pourrions être très surpris du résultat 😉
Bibliographie
- Calso, C., Besnard, J., Calò, C. et Allain, P. (2015). Étude des fonctions frontales dans le vieillissement cognitif normal. Revue de neuropsychologie, 7(4), 257-268. https://doi.org/10.1684/nrp.2015.0359.
- Pérénnou, G. (2025, 4 septembre). Parler aux personnes âgées, entre bienveillance et condescendance. JIM. https://www.jim.fr/viewarticle/parler-aux-personnes-g%C3%A9es-entre-bienveillance-et-2025a1000nfo
- Belmin, J. (2020). Vieillissement, stéréotypes et implications. Soins Gérontologie, 25, 34-37. HAL. https://hal.science/hal-03492494/document